La globalisation chinoise

Sino-soviétisme contre libéralisme économique

Les mauvais plans quinquennaux de la guerre froide

Le 1er octobre 1949, le secrétaire général du 7ème Politburo du Parti communiste chinois Mao Zedong proclame la République populaire de Chine (R.P.C.) au cours d'une décolonisation doublée d’une guerre civile dans laquelle le rôle de l’Armée populaire de libération est prépondérant. Et, de la même manière, elle guidera l’évolution de la R.P.C. au cours des Campagnes de purification interne ou lors des conflits asiatiques de la guerre froide. C'est d'ailleurs le cas moins d'un an plus tard, après la partition de la péninsule coréenne entre la République de Corée et la République populaire démocratique de Corée (R.P.D.C.), quand les incidents de frontière se transforment en un affrontement armé.

Alors, certes, l’Union soviétique livre du matériel militaire à la R.P.D.C. et octroit des licences à la R.P.C. pour fabriquer plus de sept cents avions à réaction MiG-15, mais ce sont près de huit cent mille soldats de l’Armée des volontaires du peuple chinois qui attaquent. Ceux-ci, contrés par l’intervention de plus d’un demi million de soldats de dix-sept nationalités différentes sous mandat de l’O.N.U., permettent tout de même à la Chine populaire d'accéder à la place qu'occupait jusqu'alors le Japon, c'est-à-dire au rang de puissance militaire régionale.

La carte de la guerre civile chinoise des années 1946 à 1950. D’après Nicolas Eynaud, licensed under CC BY 3.0

C'est donc une fois le pacte de non-agression signé que la fission nucléaire fournit de l'électricité suivant un système dans lequel la vapeur d'eau obtenue grâce à la chaleur de la réaction nucléaire entraîne la rotation d'une turbine couplée à un alternateur. Sur ce modèle, l'Union soviétique connecte sa première centrale nucléaire d'Obninsk à son réseau électrique l’année 1954 avant d’être suivie par le Royaume-Uni, les États-Unis d’Amérique et la République française. Et comme ce fut le cas avec la vapeur produite à partir du charbon, la vapeur née de la fission nucléaire transformera l’économie.

Ainsi, l’industrialisation du littoral pacifique se déroule au gré de l'évolution des applications électriques en différenciant les concepteurs américains des unités de production asiatiques. Et, dès l’année 1955, l’entreprise japonaise Sony Corporation commercialise le premier récepteur radio miniature en exploitant une licence américaine de fabrication de transistors. En effet, la technologie nucléaire paraît si prometteuse pour produire de l'électricité qu’elle semble pouvoir rapidement tout révolutionner, y compris les transports. Par exemple, à la fin de la guerre de Corée, la marine américaine met à la mer un premier sous-marin à propulsion nucléaire avant que la marine soviétique ne lance son brise-glace Lénine à propulsion nucléaire.

Et si la propulsion nucléaire s'adapte bien aux sous-marins, aux porte-avions ou aux croiseurs, l'innovation s'arrête aux cargos civils Otto Hahn, Mutsu et NS Savannah. Car, assimilée à un transport de matières dangereuses, la propulsion nucléaire leur interdit l’accès aux ports des lignes marchandes les plus rentables. Du coup, la propulsion nucléaire se limite au seul domaine militaire, même si, là encore, des restrictions s'appliquent. Le réacteur nucléaire à sels fondus du bombardier Convair X-6 a beau fonctionner pendant quatre-vingt-neuf heures ininterrompues, le programme Aircraft Nuclear Propulsion de l’United States Air Force s’arrête lui aussi.

En fait, la conquête spatiale accapare toutes les volontés à partir du lancement du premier satellite artificiel soviétique Spoutnik 1 en octobre 1957 qui, malgré cela, demeure un relatif succès. En effet, d'une part, le premier missile balistique intercontinental (I.C.B.M.), à savoir sa fusée porteuse R-7 Semiorka, ne restera pas longtemps en service et, d'autre part, les américains avaient déjà renoncer à lancer un satellite artificiel. Le programme spatial américain bénéficie effectivement du savoir-faire du complexe militaro-industriel national-socialiste. Et la Joint Intelligence Objectives Agency avait, entre autres, exfiltré mille cinq cents scientifiques nationaux-socialistes au cours de l'opération Paperclip. Le département de la Défense des États-Unis d’Amérique leur ayant ensuite confié la direction des programmes de recherche. Voilà comment, Wernher von Braun et l’Army Ballistic Missile Agency parviennent en novembre 1958 à lancer un I.C.B.M SM-65 Atlas d’une portée de dix mille kilomètres. Les États-Unis d’Amérique disposant comme cela d'un vecteur capable d'exploiter à plein leur stock nucléaire dix fois supérieur en puissance à celui de l’Union soviétique.

Bref, tout ceci convainc le premier secrétaire du Comité central du Parti communiste Nikita Khrouchtchev d'engager l'Union Soviétique dans une course aux armements nucléaires. Le zèle de ce collaborateur dévoué à Staline n’avait, du reste, échappé à personne durant les Grandes Purges et les Procès de Moscou. Ce dernier y proclamait que « tous ceux qui se réjouissent des succès de notre pays, des victoires de notre parti mené par le grand Staline, ne trouveront qu’un seul mot convenable pour les mercenaires, les chiens fascistes du gang zinovievo-trotskiste. Ce mot est exécution ». De féroces accusations qui ne l’empêchèrent pourtant pas de se draper dans la déstalinisation après la mort du « Père des peuples ».

Et, fort logiquement, comme en témoigne le bancal soutien qu’il apporte aux deux premiers plans quinquennaux de la République poulaire de Chine, sa politique étrangère sera tout autant versatile. Tout d'abord, le premier plan quinquennal élaboré conjointement ne s’encombre pas des fondements économiques en sacrifiant l’agriculture au profit de l’industrie lourde. Et le peu d’excédents agricoles qu’il dégage nuit au ravitaillement d'une population chinoise toujours plus nombreuse. L’aide financière soviétique ne suffit pas et la R.P.C doit acheter du blé aux canadiens. La seule contrepartie étant peut-être l'installation de milliers d’experts scientifiques soviétiques pour développer une arme atomique.

La visite de N. Kroutchev à Mao Zedong, Pékin 1958. Licensed under public domain

Vient ensuite le « Grand Bond en avant » qui définit les objectifs d'un second plan quinquennal et accroît les difficultés du précédent. La détérioration de l’outil de production entraîne la surproduction de biens industriels de mauvaise qualité, une pénurie de matières premières et, finalement, de nourriture. Même le Grand Timonier doit momentanément démissionner de la présidence de la R.P.C. au profit de Liu Shaoqi en avril 1959, soit deux mois après le triomphe de la révolution cubaine. C’est dire si l’Union soviétique choisit mal son moment pour retirer ses scientifiques atomiques et stopper son aide financière à la R.P.C. en juin 1959.

La grande famine qui s’ensuit tue vingt-deux millions d’individus selon l’agence publique du Conseil des affaires de l’État chinois. Mais Khrouchtchev ne paraît pas en être très affecté et préfère se rapprocher de la République arabe Unie ou de Cuba. L’Union soviétique finance ainsi le barrage d’Assouan à hauteur de quatre cent quarante millions de dollars américains ($) tout en fournissant deux mille techniciens à sa construction. Quant à la coopération avec la République de Cuba, là où le communisme fut long à être décidé, elle est encore plus avancée.

F. Castro, un repas chinois et un Coca-Cola. Auteur Apic, source © Rue des Archives/PVDE

En effet, cette coopération n’était pas évidente. D’une part, les États-Unis d’Amérique avaient indirectement soutenu les révolutionnaires en stoppant ses livraisons d'armes et, d’autre part, l’histoire personnel du leader révolutionnaire Fidel Castro ne relevait pas d'un communisme précoce. Ce juriste de formation devait sa première tribune à son attaque manquée sur la caserne de Moncada qui, malgré sa condamnation à quinze années de prison, l’amena à collecter des fonds à Miami, Philadelphie ou New York après dix-huit mois de détention. Bref, il rencontra le vice-président Richard Nixon à Washington D.C. où il déclara que « l’État communiste, par sa conception totalitaire, sacrifie les droits de l’homme » (A.Fontaine, La Guerre froide, chapitre IX, 2004). D'ailleurs, aucun rapprochement cubano-soviétique n’intervint avant sa réforme agraire réservant aux seuls cubains des propriétés privées à la superficie limitée.

La visite de F. Castro à R. Nixon, Washington avril 1959. Source Internet https://www.welt.de

En réalité, le socialisme à la cubaine émerge surtout à partir de l’expropriation des entreprises américaines et de la rupture des liens diplomatiques deux semaines avant l’investiture du président John Fitzgerald Kennedy (cette entente cubano-soviétique confirme déjà la rupture sino-soviétique rendue publique en juin 1960). Puis, l'échec du débarquement d’exilés cubains à la baie des Cochons conforte ce cubano-soviétisme pour que, dès mars 1962, les guérilleros puissent fonder le Parti unifié de la révolution socialiste cubaine. Or, c'est à partir de cette date que Khrouchtchev leur apporte un soutien plus direct, notamment en déclenchant l’Opération Anadyr deux mois plus tard. Quarante-sept mille soldats, quarante avions de combat MiG-21, vingt-quatre bombardiers Iliouchine Il-28, quatre sous-marins et trente-huit missiles balistiques à tête nucléaire atterrissent comme cela sur l’île de Cuba.

La versatilité de Khrouchtchev aident cependant bien les américains à lui faire retirer ces armes de sorte qu'à l’exception de la République française les États nucléaires signent le 5 août 1963 un Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires dans l’atmosphère, l’espace aquatique ou extra-atmosphérique. Toutefois, ce même jour, la République de l’Inde, signataire de ce Traité, conclut un accord de coopération nucléaire avec les États-Unis d’Amérique et l’Agence internationale de l’énergie atomique. Ses conventions stipulent que Bechtel et General Electric construiront sa centrale nucléaire de Tarapur à Maharashtra et lui fourniront le minerai d’uranium. Or, de l'aveu même du premier ministre indien Manmohan Singh, « la nature unique du programme indien crée des liens entre les programmes civils et militaires sur la globalité du cycle du combustible nucléaire ». En clair, les autorités indiennes se serviront des déchets de leurs installations civils à des fins militaires comme pour leur premier test atomique « Bouddha souriant ».

Ces accords ne sont cependant pas uniques, puisque l’Atoms for Peace programm de l’United States Atomic Energy Commission met aussi le nucléaire à la disposition de l’Israel Atomic Energy commission et du Pakistan Institute of Nuclear Science and Technology. L’expérimentation scientifique du réacteur pakistanais PARR-I est, du reste, vite supplantée par l'engagement de General Electric of Canada à livrer un réacteur nucléaire de type Candu-KANUPP-I. Mais personne ne considère ce transfert technologique utile à la production de plutonium 139 comme une prolifération nucléaire. Personne mis à part la R.P.C. qui ne peut être de la sorte isolée.

Son ostracisation du bloc communiste avait déjà détruit son embryon d’industrialisation et la grande famine l’oblige désormais à importer son maïs d’Afrique du Sud. De plus, les combats entre la République du Viêt Nam et le Front populaire pour la libération du Sud du Viêt Nam s'intensifient. Du coup, au moment où le président Kennedy y dépêche quatre cents soldats des Forces spéciales, puis quinze mille soldats, sans jamais affirmer vouloir en limiter le nombre, la R.P.C. reprend son programme nucléaire. Pire, la passive complicité de l'ambassadeur des États-Unis d’Amérique en République du Viêt Nam, colistier de Nixon à l'élection présidentielle de 1960, mène à la reconnaissance américaine du coup d’État militaire du 1er novembre 1963. Ce qui engendrera de telles difficultés qu’elles convaincront le Congrès des États-Unis d’Amérique à intensifier son action militaire. De fait, la rupture sino-soviétique paraît irrémédiablement avancée avant que le président Kennedy ne commence sa tournée de réelection à Dallas.

J.F. Kennedy avec l'ambassadeur des États-Unis d'Amérique en République du
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